♦ Les tortues marines, quelle que soit l’espèce, ont un cycle de vie complexe comportant, selonles classes d’âges, des séjours plus ou moins longs dans des biocénoses différentes, des écosystèmes parfois néritiques, parfois benthiques et, pour les femelles adultes et les premiers stades reproductifs (oeufs, embryons, tortues nouveau-nées), des étendues terrestres sableuses ou non. Au cours de l'ontogenèse d'un individu, selon son espèce et sa population, seront occupés des habitats très différents, côtiers ou de pleine mer. Une tortue changera d’habitat au cours de son cycle de vie, mais aussi parfois également au cours du rythme nycthéméral.
Localisation des différents habitats côtiers et pélagiques des tortues marines.
Habitats de reproduction - Breeding stations
Ces habitats se compose d’un habitat d’accouplement, d’un habitat de nidification et d’un habitat du développement embryonnaire.
Habitat ou aire d’accouplement - Mating habitat
La Luth exceptée, les espèces s’accouplent le long d’un corridor migratoire ou dans un habitat d’alimentation, mais le plus souvent très près des côtes et d’une plage de ponte, donc potentiellement dans des zones littorales peu profondes.
Habitat de nidification, site ou plage de ponte - Nesting habitat, nesting beach, chelonery
Il s’agit de toute surface terrestre côtière où au moins une femelle d’une espèce quelconque a pondu dans des temps historiques. Bien qu’il ne soit pas tout à fait élucidé pourquoi certaines plages et pas d’autres sont utilisées par les tortues marines pour déposer des oeufs et d’autres ne le sont pas, l’habitat de nidification doit cependant répondre à un certain nombre de facteurs et à plusieurs exigences minimales. Le site doit être facilement accessible depuis l’océan ; ce critère sera différent pour une Luth femelle et pour une Tortue imbriquée femelle. La première évitera les rochers pouvant facilement blesser son corps dépourvu d’écailles et de plaques cornées. A l’inverse, la seconde, carapaçonnée dans une armure, n’hésitera pas à passer de coupants beachrocks. Théoriquement, le nid doit pouvoir être creusé en un endroit non inondable aux marées hautes, et le substrat avoir une cohésion de grains permettant une construction solide d’un puits et d’une chambre d’incubation. Le substrat, le plus souvent un sable fin, doit être tel qui facilite la diffusion des gaz, ne pas trop retenir l’humidité et avoir des températures propices à un bon développement embryonnaire.
Hearth (1980) utilise le mot chelonery (cheloneries au pluriel) pour désigner un habitat de nidification des tortues marines. Ce mot n’a pas été repris par la suite. Les Anglosaxons emploient plutôt le mot « rookery » qui peut être franciser en rookerie.
Habitat de développement embryonnaire - Embryonic development habitat
Une fois le site choisi, la femelle creuse un puits cylindrique avec un travail alterné des pattes postérieures. Le fond est élargi pour former une chambre où s’entassent les oeufs qu’elle pond.
Sa profondeur varie selon les espèces et la grandeur des pattes postérieures de la femelle, de 30 à environ 80 cm. Une forte marée peut diminuer cette profondeur par l’érosion de la couche sableuse ou, à l’inverse, une autre femelle installée à côté du nid, peut, en balayant apporter du sable par-dessus. L’habitat d’incubation dans lequel les oeufs se développent doit présenter un environnement relativement humide mais pas trop, peu salin et bien ventilé.
Habitat interponte - Internesting habitat
Une femelle pond plusieurs fois par saison. Entre deux montées à terre, les femelles d’une même espèce sont généralement résidentes aux abords plus ou moins proches du ou des sites où elles déposent leurs oeufs. Cet habitat d’interponte peut être proche des côtes, à moins de 20 km (sauf pour Natator depressus pour laquelle il est de l’ordre de 60 km) et nécessiter de lui garder son intégrité, surtout s’il est proche d’un port marchand avec un trafic dangereux de navires, d’une agglomération ou d’une industrie polluante.
Habitat de frénésie - Frenzy habitat
Après la course vers la mer depuis l’orifice du puits du nid et après avoir quitté la plage de naissance (habitat de nidification) et après leur entrée souvent violente dans les vagues, les tortues nouveau-nées vont s’éloigner des côtes en nageant rapidement vers le large durant une « période frénétique » (frenzy period), à contre-courant, pendant environ 24 heures.
Après ce temps d’agitation, les jeunes tortues effectuent un minimum de mouvements, résident généralement dans un habitat pouponnière, dans des eaux océaniques profondes (post-frenzy period) où elles restent pendant plusieurs années.
Habitat pouponnière - Nursery habitat
La migration passive pélagique est encore mal connue chez la plupart des espèces où les jeunes tortues se laisseraient dériver au gré des courants pendant un laps de temps appelé « années perdues » (lost years) ou « décade perdue ». Les très jeunes Chelonia mydas et Caretta caretta trouvent les habitats des Sargasses attrayants, mais les deux espèces y occupent des micro-habitats différents. Les petites tortues se laisseraient parfois porter en surface dans les communautés de Sargasses pour un basking thermorégulateur leur permettant une efficacité digestive améliorée et une meilleure synthèse de la vitamine D.
Habitat de croissance ou de développement - Developmental habitat
Il s’agit d’un lieu sous-marin unique ou une série d’habitats de résidence où les jeunes tortues et les subadultes passent et séjournent au fur et à mesure de leur croissance jusqu’à la taille adulte. La croissance est lente pour certaines espèces et le séjour dans un habitat de développement peut donc durer parfois plusieurs dizaines d’années.
Habitat alimentaire - Forage habitat, foraging habitat, feeding habitat
L’habitat alimentaire consiste en une zone côtière ou offshore où les tortues marines, sexuellement immatures ou matures, se nourrissent, parfois de façon grégaire. Les herbiers tropicaux, les récifs coralliens et les estuaires sédimenteux sont souvent des aires alimentaires.
Les tortues adultes passent la majeure partie de leur vie dans un habitat d’alimentation réservé aux adultes, rarement avec des immatures.
Habitat de repos marin - Resting habitat
Près des côtes, les tortues marines, entre des périodes d’activité, peuvent se poser sur le fond, parfois une partie du corps entrée dans une cavité rocheuse, et y rester entre deux remontées en surface pour respirer et chercher ensuite de la nourriture à diverses profondeurs.
Habitat d’hivernage - Hibernacula habitat
Il s’agit ici d’une léthargie hivernale et non d’hibernation véritable. L’engourdissement d’une tortue, habituellement sur un fonds sableux ou vaseux, arrive lors d’une diminution importante de la température de l’eau de mer. Un seuil de température pour l’entrée en dormance est supposé être juste en dessous de 15 °C. Les tortues dormantes sont souvent enfouies dans des sédiments, recouvertes de boue. En état d’endormissement léger et anaérobique, elles doivent cependant remonter (de nuit semble-t-il) pour respirer, ce qui démontre que ce n’est pas une hibernation profonde comme chez les tortues palustres.
Habitat de prélassement solaire - Basking habitat
Le mot américain basking, utilisé quasi-exclusivement pour les phoques, les tortues palustres et Chelonia mydas, peut se traduire en français par lézarder au soleil, se prélasser au soleil.
Habitats pélagique et allopélagique - Pelagic and allopelagic habitats
Les tortues marines font partie du necton et peuvent, pour toutes les espèces, avoir au cours de leur cycle vital, un habitat pélagique, c’est-à-dire le milieu océanique de pleine eau.
Habitat [station] de nettoyage - Turtle cleaning station
Certaines espèces (Chelonia mydas, Caretta caretta…) ont parfois un endroit privilégié d’un récif, dépourvu de prédateurs et de violents mouvements d’eau où elles peuvent, de façon intentionnelle, se reposer et se faire nettoyer par des poissons ou des Crustacés. Au-delà de ce rôle de nettoyage, les stations auraient également pour les tortues une fonction anti-stress et supprimeraient les effets négatifs des parasites sur la santé.
Habitat de migration - Migration habitat
La plupart des tortues nouveau-nées, après la période de frénésie, entreprennent une migration principalement passive, dérivant dans un habitat pélagique, entrainées au sein des systèmes de gyres océaniques. Après un certain nombre d’années, ces juvéniles gagnent les habitats démersaux de croissance des zones tropicales et tempérées. Les juvéniles de certaines populations des zones tempérées effectuent des migrations saisonnières vers les zones d’alimentation situées à des latitudes supérieures en été et à des latitudes inférieures en hiver.
Les migrations se font ensuite en sens inverse, avec des déplacements parfois transocéaniques d’un habitat de naissance vers une succession d’habitats de croissance. On comprend donc pourquoi, en raison de ces habitudes migratoires et d’habitats variés, parfois géographiquement très distants, la conservation des tortues marines a besoin d’une coopération internationale.
Il existe parfois des corridors océaniques de migration chez les tortues marines. Les migrations de longue distance des adultes permettent une liaison entre habitats de reproduction (accouplement, nidification) et habitats d’alimentation, parfois en utilisant le champ magnétique terrestre.
Texte rédigé par Jacques FRETEY
♦ Équivalent étranger : Marine turtle habitats.