Coup de frein sur le trafic d’or en RDC
> Alors qu’une semaine vient de s'écouler depuis la saisie d’une quantité importante d’or provenant de la carrière illégale de Muchacha par les Eco-gardes de la Réserve de la Faune à Okapi (RFO) , ce samedi 26 juin 2021 le Président Félix Tshisekedi de RDC et son homologue rwandais Paul Kagame viennent de signer à Goma plusieurs accords de coopération bilatérale visant à promouvoir et protéger les investissements entre les deux pays, éviter le problème de double imposition et d’évasion fiscale. Concernant plus particulièrement l’exploitation de l’or, un protocole d’accord a été établi entre la société congolaise SAKIMA et la société rwandaise Dither LTD de droit privé.
> L’or dit « artisanal » - soit 95 % de la production régionale actuelle - est extrait de milliers de sites miniers, le plus souvent sans permis d’exploitation, zones de non-droit sous le contrôle d’hommes en armes, miliciens, militaires corrompus et autres types de malfaiteurs. C’est une activité de survie pour des dizaines (voire centaines) de milliers de personnes dont le salaire journalier inférieur à un dollar ne permet pas de tirer de bénéfice substantiel.
Extrait principalement dans les provinces de l’Est du pays toujours en proie à de nombreuses exactions (Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu), l’or de la République démocratique du Congo transite illégalement vers l’Ouganda - et plus accessoirement le Burudi et le Rwanda - d’où il est vendu dans le reste du monde. Depuis la crise du COVID, ce trafic tire profit du confinement et du prix très élevé de l’or sur le marché international.
Un trafic qui ne date pas d’hier
> Si on se cantonne au siècle actuel, l’affaire Argor dans laquelle la raffinerie d’or suisse avait raffiné près de trois tonnes d’or congolais, entre 2004 et 2005, sans se conformer au principe de diligence raisonnable ni s’interroger sur la provenance licite de cette quantité d’or, avait mis en évidence l’incapacité de l’État congolais à revendiquer ses droits de propriété sur ses propres biens sortis illégalement de son pays.
En 2010, les chefs des 11 États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont signé la Déclaration de Lusaka et l’Initiative régionale contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, lesquelles offrent un cadre visant la mise en place de six outils. Ces outils sont le Mécanisme de certification régional (MCR), l’harmonisation des lois nationales, une base de données régionale sur les flux de minéraux, la formalisation du secteur aurifère artisanal, le mécanisme d’apprentissage par les pairs de l’EITI et le mécanisme de dénonciation.
Ces pays ont aussi intégré dans leurs législations respectives le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque, qui oblige les entreprises du secteur privé à identifier, atténuer et signaler tous les risques, par exemple, la corruption ou les violations des droits de la personne, se présentant dans leur chaîne d’approvisionnement.
> En septembre 2015, la Southern Africa Resource Watch (SARW) avait organisé à Kinshasa avec la participation active du Ministre des Mines, la Conférence sur le commerce illicite de l’Or congolais.
Parmi les facteurs qui à l’époque, expliquaient et prouvaient l’inefficacité de la lutte contre le commerce illicite de l’or à l’Est du pays, les participants avaient relevé :
- le manque d’une politique de contrôle et d’encadrement de l’exploitation artisanale ;
- le manque d’encadrement de la production du secteur artisanal (soit 80% de la production) ;
- l’absence des sanctions des auteurs de la fraude minière ;
- l’existence des comptoirs illégaux (non agréés) d’achat d’or ;
- l’absence de banques dans les sites d’exploitation ;
- le financement étranger de l’exploitation artisanale de l’or à l’Est de la RDC ;
- le manque d’une coopération efficace dans la région pour lutter contre le commerce transfrontalier illicite ;
- le blanchiment des capitaux.
> Plus récemment, Guillaume de Brier, chercheur à l’International Peace Information Service (IPIS) note que la production d’or en RDC estimée entre 15 et 20 tonnes pour l’année 2020, n’a rapporté que 72.000 dollars d’impôts pour une valeur estimée de plus d’un demi-milliard de dollars. Sa conclusion est sans appel : « Cela signifie que 99% de l’or extrait en RDC est passé en contrebande dans les pays voisins ».
Les enquêteurs du Wall Street Journal qui s'étaient rendu à la frontière entre la République démocratique du Congo (RDC) et l’Ouganda révélaient en juillet 2020 qu’ « au cours des derniers mois, en exploitant la frontière poreuse, des quantités record d’or extrait dans des mines artisanales des régions en conflit de l’est du Congo ont été transférées en Ouganda ». Ce passage n’est néanmoins qu’une étape d’un parcours plus long, puisqu’une fois arrivé en Ouganda l’or du Congo « est estampillé avec de fausses certifications, avant d’être expédié vers les marchés internationaux de Dubaï, Bombay et Anvers ».
À ce jour, une grande partie du métal extrait est négociée de l’autre côté de la frontière, sur la bourse informelle de Kampala où se fournit entre-autre la société de raffinage ougandaise African Gold Refinery (AGR) d’Entebbe. Cette société qui produit à elle seule 200 kg d’or par semaine et longtemps pointée du doigt pour blanchiment, est maintenant considérée comme un acteur « capable d’assainir le secteur ». Afin de bénéficier de son « savoir faire », elle est sollicitée par les autres pays riverains du lac Albert soumis aux pressions des experts de l’ONU.
> L’assainissement du secteur minier de l’or n'avance qu'à petits pas et il est clair que cette saisie médiatisée ne représente qu’une goutte dans l’océan du trafic aurifère. En 2020, près de deux tonnes de métal se sont évaporées d’Ituri chaque mois, soit plus de 10 millions d'US$ de perte annuelle de recettes fiscales pour la RDC !
Voici le verdict rendu par l'ONG canadienne IMPACT :
« Pour démanteler le système complexe du commerce illicite de l’or en RDC, il faudra s’attaquer à des systèmes et réseaux de corruption profondément enracinés. Le commerce légal doit devenir plus attrayant et plus rentable.
Les négociants et exportateurs oeuvrant dans l’illégalité devront être incités à exercer leurs activités légalement, de la même façon que les exploitantes et exploitants de mines artisanales ont été amenés à vendre leur or par des voies légales ».
Documents complémentaires en téléchargement
• OCDE : Guide OCDE sur le devoir de diligence | |
• SARW : Le commerce illicite de l’or en République démocratique du Congo et l’affaire Argor |
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• IMPACT : Ces négociants qui compromettent les efforts de la République démocratique du Congo en faveur de la production d’or sans conflit |