Stratégies de manipulation d'outil chez les humains et les bonobos
Auteurs:Bardo, Ameline; Borel, Anthony; Meunier, Hélène; Lemaire, Mathilde; Lempereur, Emeline; Guery, Jean Pascal; Pouydebat, Emmanuelle
Année de publication:2015
Date de publication:2015-01-26
La main humaine est considérée comme unique au travers certaines spécificités fonctionnelles comme l’individualisation des doigts et la capacité de saisir avec puissance un outil entre le pouce et le côté latéral de l'index. Cependant, les primates non-humains présentent de grandes capacités de manipulations. Ainsi, peut-on réellement affirmer que ces caractéristiques fonctionnelles humaines ne sont pas partagées par d'autres primates ? L'étude préliminaire menée ici a pour objectif d'analyser les stratégies de manipulation chez des humains, adultes (N = 10 hommes, âge = 28 ± 5,92 ans) comme enfants (N = 10 garçons, âge = 5,3 ± 0,48) et des bonobos ("Pan paniscus") captifs (N = 6 dont 4 femelles et 2 mâles, âge = 20,33 ± 5,31) au cours d’une même tâche nécessitant la manipulation d'un outil. Cette nouvelle tâche consiste à récupérer une noix placée dans un labyrinthe en bois et ceci à travers un grillage. Les deux espèces disposaient d'un choix varié de branches (divers tailles et diamètres). Trois sessions par individu, une session correspondant à 1 noix récupérée, ont été menées chez les bonobos comme les humains. Différents paramètres ont été quantifiés comme le type de saisie (uni-manuelle versus bi-manuelle), de postures manuelles (e.g. puissance, précision) et la performance (basée sur les nombres de mouvements et d'obstacles touchés). Les résultats montrent des différences inter et intra-spécifiques et un effet de l'âge chez les humains pour certains paramètres. Tout d'abord, les bonobos ont utilisé un seul outil avec une seule main alors que les humains (adultes et enfants) ont employé en majorité des stratégies bi-manuelles (65 %) et les adultes se sont parfois servis de deux outils (30 %). Concernant les saisies uni-manuelles, les bonobos ont utilisé 32 formes de postures manuelles contre 26 pour les humains adultes et 125 pour les enfants. Au cours des saisies bi-manuelles, 4 fois plus de postures ont été quantifiées. Par ailleurs, les enfants ont davantage utilisé des saisies de puissance que les adultes qui ont principalement employé une saisie de précision à 3 doigts (e.g. tenue du stylo) pendant que les bonobos ont présenté des préférences différenciées au niveau individuel. Pour finir, les adultes humains se sont montrés plus performants que les bonobos, eux-mêmes plus performants que les enfants. L'utilisation des deux mains chez les humains pourrait s'expliquer par une saisie plus stable et puissante de l'outil pendant que l'utilisation de deux outils chez les adultes, plus complexe sur le plan de la coordination, pourrait apporter à certains individus une optimisation du trajet de la noix par dissociation des actions de la main droite versus de la main gauche (pousser vs contrôler). La plus grande variabilité des types de saisies chez les enfants pourrait s'expliquer par le manque d'expérience et d'apprentissage dans les stratégies de manipulation. Les bonobos présentent quant à eux des spécificités individuelles pouvant traduire la spécialisation de leurs stratégies de manipulations. L'ensemble des résultats montre qu’il est nécessaire d'approfondir les manipulations d'objets afin de mieux comprendre les spécificités de chaque espèce, et pas seulement humaines, et les causes des convergences parfois partagées. Seule une approche détaillée et comparative (inter et intra-spécifique) nous permettra de discuter sous un nouvel angle l'émergence des éventuelles spécificités humaines.