Les primates non humains sont-ils médecins ? Une analyse critique des études sur l’automédication et de ses mécanismes premiers
Auteurs:Poirier‑Poulin, Samuel
Année de publication:2016
Date de publication:2016-07-29
Depuis les vingt dernières années, les primatologues se sont penchés sur la question de l’automédication chez les primates non humains, le plus souvent en cherchant à faire le pont entre les savoirs des communautés locales — ces dernières affirmant s’être inspirées des comportements des animaux qui les entourent pour développer leurs propres savoirs médicinaux — et les pratiques des primates non humains. En fait, de telles études ont débuté dans les années 1980, mais ce n’est qu’assez récemment qu’un plus grand nombre de primatologues s’est penché sur la question, tentant de confirmer ou de réfuter la présence de ce type de comportements par des analyses précises en laboratoire et par des Les primates non humains sont-ils médecins ? Une analyse critique des études en semi-liberté ou en captivité où les variables sont plus facilement contrôlables. Malgré tout, une lecture critique des études sur l’automédication révèle que les comportements recensés et présentés comme automédicaux peuvent parfois s’expliquer par d’autres motifs et que les prémisses des argumentaires concluant qu’un comportement x est automédical reposent souvent sur des suppositions. Par ailleurs, bien que la comparaison entre les savoirs médicinaux locaux et les pratiques des primates non humains soit pertinente, elle est une source d’anthropomorphisme. Lorsque nous étudions le comportement des animaux non humains, nous devons faire preuve de prudence dans nos interprétations, ne pas interpréter un comportement animal à partir d'une logique qui s’applique à l'humain, et ne pas surinterpréter. Ceci ne nous empêche pas pour autant d’apprécier à leur juste valeur les comportements novateurs des primates (et des autres animaux), comme le souligne Hladik (1998), mais nous pousse plutôt à réfléchir sur notre manière de les présenter et de les interpréter. Nous devons être d’autant plus prudents lorsque nous étudions des comportements considérés comme à la frontière de ce qui sépare l’humain des autres primates — la fabrication d’outils a longtemps été considérée comme l’un de ces comportements. Nous devons être conscients que les termes que nous employons pour décrire un comportement animal peuvent être une source d’anthropomorphisme. Parler de « chimpanzés capables de sélectionner des plantes pour leurs vertus thérapeutiques » (comme le critique Hladik, 1998, 154 ; c’est moi qui souligne) est une erreur dans notre choix de vocabulaire — tout comme parler de primates non humains médecins dans le titre ironique de cet article —, et ce qui semble n’être à priori qu’un glissement langagier anodin influence nos interprétations subséquentes et finit par engendrer des interprétations fortement anthropomorphiques. Il est vrai que nous ne pouvons pas éviter complètement l’anthropomorphisme, car pour ce faire, nous devrions nous détacher entièrement de notre bagage humain. Nous devons toutefois chercher à le limiter, et c’est ce que nous tenterons de faire tout au long de cet article.