En République démocratique du Congo dans la Province de Maï Ndombe,
il est près de Bolobo - ville à laquelle Pan paniscus doit son nom vernaculaire - une région de forêts et de savanes où les Batéké, ethnie majoritaire d'origine bantoue, vivaient il y a encore peu d’années en harmonie avec les craintifs et discrets bonobos.
M'Bou Mon Tour
Plus de 20 ans d'action pour une forêt communautaire
Histoire d'un tabou
Certains prétendent que “bonobo” signifierait “ancêtre” dans une langue proto bantue disparue aujourd’hui. À Nkala et dans les villages environnants on l’appelle Ebubu et le récit traditionnel veut que ces êtres soient les descendants d'hommes contraints de se réfugier dans la forêt afin d’échapper à un esclavage auquel ils étaient voués faute d’avoir honoré leurs dettes.
Alors que dans de nombreuses régions de RDC, les bonobos sont chassés pour le commerce de viande ou pour subvenir à ses propres besoins, ici, protégés par les croyances, le respect est de mise et la chasse tabou. Il n'est pas question de goûter à la chair de ce cousin sylvestre.
Mais des sociétés forestières s’établissent dans la région et d’autres groupes d’hommes les suivent pour cultiver les surfaces défrichées. Avec eux, le tabou se dégrade et la chasse menace désormais les bonobos et bien d’autres espèces sauvages.
Progressivement, avec l’introduction d’armes automatiques, le recours aux poisons naturels ou synthétiques pour la chasse, l’utilisation de filets et de nasses à petites mailles pour pêcher, la capture de tortues et le ramassage de leurs œufs pendant la période de reproduction, etc. le ciel s’assombrit sur cette région car tous les ingrédients d’une issue désastreuse s’y sont accumulés.
Quand la société civile décide de se mobiliser
- En cette fin de XXème siècle, cette nature qui constituait la principale source d’approvisionnement en gibier et poissons s’appauvrit jour après jour et les services écosystémiques (régénération de l’air, régulation de l’évaporation, fixation des précipitations et du ruissellement des eaux de pluies, protection des sols contre l’impact des précipitations) rendus par la forêt et sa canopée s’amenuisent.
- La régression économique liée à l’afflux de réfugiés rwandais et à la situation de conflit qui en résulte dans l’Est du pays depuis 1994 laisse peu d’espoir quant à une intervention étatique qui serait bienvenue pour inverser cette évolution.
- Devant ce constat amer et sous l’impulsion de Jean Christophe BOKIKA NGAWOLO, fils du chef de village de Nkala et juge à Kinshasa, des représentants des communautés locales, soutenus par le pouvoir coutumier et des cadres universitaires originaires de la région décident de créer une association. Leurs objectifs :
- protéger les forêts et savanes qui abritent des bonobos et autres petits primates,
- mener conjointement des activités de développement respectueuses de la nature contribuant à réduire la pauvreté et la malnutrition qui accablent cette région.
Le 17 avril 1997, l’association qui va prendre pour nom M'bou Mon Tour (MMT) - du nom de la rivière locale - a une existence officielle.
1997 - Des débuts modestes
- Afin de réduire la pression sur la faune sauvage et de participer à l’effort national de conservation du patrimoine animalier dans cette contrée, MMT aide la population locale à développer une activité agro-pastorale pour que la viande domestique puisse se substituer à la viande de brousse. Elle prend également son bâton de pèlerin pour raviver les anciens tabous alimentaires.
- Dès 1997, grâce aux premières cotisations de ses membres, MMT met sur pied sa première ferme bovine, comptant sept animaux (6 femelles et un mâle). Mais en 2001, la trypanosomiase décime le cheptel et 17 bêtes périssent. L’amélioration de la prise en charge sanitaire de l’élevage va permettre de relever la tête, avec plus de 30 bovins trois ans plus tard.
- Pour lutter contre la pauvreté et améliorer le bien-être des familles rurales, MMT offre aux petits éleveurs des activités de métayage et participe à la vulgarisation de l’usage des produits vétérinaires. L’association contribue à la défense des droits sociaux des couches vulnérables (enfants, femmes et paysans) et à l’amélioration des soins de santé primaire (prévention des MST et notamment du SIDA ).
2004 - Bilan du chemin parcouru
- À l’occasion de son assemblée générale de 2004, MMT recense plus de 300 adhérents. Elle emploie 7 personnes fixes à Kinshasa (3 femmes et 4 hommes) et 5 à Bandundu (3 femmes et 2 hommes) aidés de plus de 15 volontaires.
- Elle possède à Kinshasa :
• une concession de 30 ha à Kinzono (Commune de Maluku) à mettre en valeur ;
• une porcherie à Kinkole (Commune de N’sele) et ses bêtes.
Dans la Collectivité des Batéké-Nord (Province de Bandundu) elle possède également :
une concession de plus de 350 ha constituée de forêt et de savane où un embryon de ferme-école prend forme ;
• un cheptel de plus de 30 bovins, des moutons, des chèvres, des porcs, des pigeons, des dindons, des poules, des canards, des pintades, tous de race non améliorée ;
• des plantations de manioc et de maïs.
- Compte tenu de ses moyens modestes, les investissements matériels de MMT sont encore très limités (bicyclettes ; pulvérisateur à dos d’homme) et l’ONG n’intervient que ponctuellement sur le terrain :
• distribution de la drêche de brasserie aux éleveurs de porcs de Kinkole ;
• campagnes sanitaires vétérinaires (désinfection d’animaux et de leurs abris ; lutte contre la trypanosomiase avec pose de pièges et désinfection de foyers de mouches tsé-tsé ; achat et expédition aux villages de produits vétérinaires);
• construction de digues et de ponts (lianes et troncs d’arbres) pour relier les villages entre eux et rendre plus aisés les déplacements des paysans en période de grandes pluies.
Impulsion d’un nouveau cycle plus ambitieux
- Sur le plan national, après des années de conflits inter-ethniques et avec les nations voisines, l’accord de paix de juillet 2002 entre la RDC et le Rwanda permet le retrait des troupes rwandaises et le désarmement des milices hutues rwandaises dans l’Est du pays.
- Loin du front et forte de ses premières réalisations, l’association veut consolider ses acquis et compte développer de nouveau axes afin d’accroître son rayonnement. L’accent est porté sur la mise en place de processus éducatifs et sociaux auxquels les populations rurales de la région de Bolobo n’ont pas accès car, pour l’heure et par manque de moyens, l’administration est toujours défaillante.
- Pour cela, il lui faut améliorer les voies de communications sur le territoire rural et bâtir également de nouvelles infrastructures :
une ferme-école en vue d’initier les villageois aux pratiques semi-modernes d’élevage et de culture et diffusion par métayage des races améliorées du petit bétail et de la volaille (poules et coqs améliorateurs de la race indigène) ;
une pharmacie vétérinaire en vue d’aider les petits fermiers à lutter efficacement contre les maladies qui continuent de décimer les bêtes, notamment la trypanosomiase ;
des centres de santé primaire.
- MMT compte également mener, en milieu rural, des campagnes de vulgarisation :
sur l’usage des produits vétérinaires ;
sur le code de la famille aux fins de lutter contre les formes de discrimination dont sont victimes les femmes, notamment en matière de succession ;
et intensifier la campagne contre l’abattage systématique des bonobos et du trafic intense de leurs bébés dans le territoire de Bolobo.
- Sur un plan plus général l’ONG compte :
organiser des séminaires de sensibilisation contre l’exploitation abusive de la forêt
mettre sur pied un système d’observation des bonobos dans leur milieu naturel, pour des fins de recherche ou cinématographique ; fait d’une mosaïque de forêt et savane, cette région est en effet un lieu idéal pour observer les bonobos dans leur milieu naturel.
- Afin de générer de nouvelles sources de revenus pour les populations locales et contribuer à relever leur niveau de vie, MMT imagine d’utiliser les moyens mis en place pour l’observation scientifique des bonobos à des fins d’écotourisme comme cela a déjà été expérimenté en d’autres endroits. Cette richesse jusque là négligée devrait permettre aux villages de se doter d’infirmeries et d’écoles, d’adduction d’eau potable, etc. et encourager la mise en place d’un cercle vertueux concernant la protection de l’environnement. Le nouveau paradigme à mettre en place : un bonobo vivant vaut beaucoup plus qu’un bonobo mort.
Quand le vent veut bien souffler dans le bon sens
- Depuis les années 90, la « Nouvelle écologie pour le XXIème siècle » défendue par Daniel Botkin dans son livre « Discordant Harmonies » a fait son chemin. Face à l’échec cuisant de la politique basée sur l'exclusion des populations locales dans la gestion des aires protégées et leur déplacement hors du périmètre, le gouvernement décide de changer de cap.
- Avec le Plan Stratégique d'Action 2005-2009, une Politique et Plan de recherche ainsi qu’une nouvelle Stratégie Nationale de Conservation reposant sur la coopération avec les communautés locales et les autres partenaires se met en place pour le bien-être des populations congolaises (et du reste de l'humanité).
- La tenue d’élections de 2006 et la rédaction d’une nouvelle constitution apporte enfin une bouffée d’air frais dans le processus institutionnel et réanime les espoirs d’une légitimité des institutions étatiques et du gouvernement central. Cette même année, un Projet intégré de conservation des bonobos de l’Ouest (PICBOU) du Wild World Found (WWF), vient en soutien à MMT initiatrice du projet.
Plus tard, l’accord de janvier 2008 entre le gouvernement de la RDC et les groupes rebelles vient conforter l’embellie nationale.
Institut Congolais pour la Conservation de la Nature
Au terme du Décret n°10/15 du 10 avril 2010, l’ICCN devient un établissement public jouissant d’une personnalité juridique propre avec une autonomie de gestion financière et administrative. L’ICCN a pour objet la conservation de la nature dans les aires protégées in et ex situ. À ce titre il est chargé notamment :
• d’assurer la protection de la faune et de la flore ;
• de valoriser la biodiversité en favorisant la recherche scientifique et en facilitant les activités d’écotourisme conformément à la législation en vigueur et dans le respect des principes fondamentaux de la conservation ;
• réaliser ou de faire réaliser les études et d’en assurer la vulgarisation à des fins scientifiques et didactiques dans le domaine de la conservation.
L’accent est mis sur la recherche scientifique en tant que pilier de la gestion durable des AP, de la valorisation de leurs ressources naturelles et de la promotion du tourisme en leur sein. Elle doit fournir les informations et les connaissances nécessaires à la conservation et à la gestion durable et rationnelle des ressources naturelles dans les AP.
- Le gouvernement de la RDC soutient enfin le projet de MMT et le processus de reconnaissance officielle des forêts protégées par la communauté en vertu de l'Article 22 du Code forestier congolais va se mettre en branle. Mais les grandes villes voisines de Brazzaville et Kinshasa sont de plus en plus gourmandes en charbon de bois et la menace devient palpable. Malgré qu’en 2013 l’association ait alerté les pouvoirs publics quant à l’urgence de cette mesure de protection, ce processus n'est finalisé qu'en 2015.
Vingt ans plus tard
- Sur une période d’activité de plus de 20 ans, l’association MMT peut s’enorgueillir d’un certain nombre d’actions concrètes réalisées ou en voie de l’être :
• mise en place d’un programme de sensibilisation dans les villages locaux afin de faire revivre le tabou de la viande de brousse ;
• établissement d’un réseau de six zones forestières protégées communautaires;emploi de villageois locaux comme pisteurs bonobos ;
• création à l’échelle locale de micro-activités agricoles et artisanales soutenant le développement local ;
et dans une autre dimension :
• organisation de conférences et présence sur les réseaux sociaux pour asseoir la notoriété de l’association MMT ;
• participation à de nombreuses publications scientifiques.
- Au total, huit villages et terroirs coutumiers ont adhéré à la campagne de protection de la biodiversité menée depuis 2001 par l’ONG. Il s’agit notamment de villages de Mbee, Enguru, Mobeya tsalu, Makaa, Bodzuna, Nkala, Embirima et Mpelu. Quatre ponts ont été jetés sur la rivière Mbali pour permettre la circulation des biens et des personnes. Dans le souci de désenclaver le territoire, l’ONG a doté tous les villages concernés par le projet de kit de matériels de réception satellitaire.
- MMT compte à ce jour 2 sites de monitoring des petits singes et 6 sites de monitoring des bonobos dont 3 sont destinés à l’habituation progressive de l’espèce à la présence humaine, les 3 autres étant exclusivement des sites de suivi écologique. 35 pisteurs travaillent sur les 8 sites sous la supervision d’un coordinateur local, évoluant lui-même sous la tutelle de la direction à Kinshasa.
Crédits photos - Mbou Mon Tour